Week-end dense qui vient ponctuer notre blue week. Sentiment particulier... Je viens de vivre comme tout le pays la défaite de l'équipe de France en finale de la coupe du monde de football. Je l'ai vécu pendant mes activités d'entraîneur et de sélectionneur de polo, en marge des championnats de France intercomités minimes. Forcément on porte un regard professionnelle sur cette compétition et on transfert beaucoup sur notre activité tout ce que peut apporter l'expérience d'une compétition internationale. Mélange de tristesse, de déception... mais aussi de force intérieure, de détermination à persévérer, à progresser, à exceller dans son activité. Aujourd'hui 1/2 finale avec mes petites pousses.
*
* *
Au diable, cet esprit décidément français que l'important c'est de participer. Il s'agit de sport, en l'occurence de sport de compétition, et ici du sport par excellence durant l'épreuve majeure de toute carrière sportive. Ces hommes sur le terrain ont attendu toute une vie pour ce moment unique. Ils jouent ici leur vie comme peut la jouer à un moment donné tout professionnel dans son métier. Ils savent qu'en entrant sur le terrain, ce sera la bataille, emporté par des enjeux qui les dépassent, enjeux nationaux, politiques, économiques.
Les italiens l'ont bien compris qui ont produit un match plein et crânement joué leur chance, tout comme les anglais qui ont obtenu l'organisation des JO de 2012 au détriment de la France, trop respectueuse par moment, trop gentille. A commencer justement par Materazzi, l'homme du match et l'auteur de la chute Française. D'abord le buteur de la tête qui égalise, puis le défenseur qui stoppe l'adversaire, le tâcle, le met à terre, enfin cet homme à l'engagement total, extrême, excessif même, car extrêmiste, l'homme qui provoque par un jeu limite et déloyal, qui ne cherche plus à battre l'adversaire mais à le détruire, au mépris du grand art martial.
Mais cette équipe de France l'a aussi entièrement intériorisé avec grande noblesse, comme le démontre leur sage devise : "on vit en ensemble, on meurt ensemble". A l'image d'un Thuram fédérateur et déterminé qui décrit avec justesse cet état d'esprit : "Une grande équipe est composée de joueurs qui sont capables de s'oublier pour l'autre. Nous footballeurs, avons tous des egos très forts. Arriver à s'oublier en sachant que l'autre nous rend meilleur, c'est un discours très simple à comprendre mais parfois difficile à pratiquer en groupe. A partir du moment où vous jouez en bloc, que vous savez que c'est la clef du succès, et que tout le monde est prêt à respecter la consigne, ça veut dire que vous avez une équipe où chacun se respecte et où l'un et l'autre sont liés". Le coach et sélectionneur en donne le sens profond : "Elle vient de l'histoire des batailles quand les tribus se battaient entre elles. Ou elles pouvaient vivre, ou elles se faisaient bouffer par les autres. Que les joueurs l'aient adopté, c'est très symbolique de ce qu'on a vécu. On ne fait que des matches à élimination directe depuis l'Irlande voire même avant. Ça doit faire une bonne quinzaine de matches où l'on vit comme ça avec le couteau sous la gorge".
Oui, leur vie est en jeu. Il s'agit de la vie et de la mort, de cette tragique réalité même si elle n'est ici que symbolique, il s'agit de combattre. Combien de fois a-t-on enterré cette équipe avant même qu'elle puisse s'exprimer sur le terrain, c'est à dire dans l'acte ? Car au-delà des discours, c'est dans les actes et dans la pratique que l'homme se forge. Sagesse du corps. Cela s'appelle entre autres l'expérience... Apprendre à faire corps. Et dans la compétition, dans l'épreuve, dans le combat, apprendre à faire corps avec les éléments extérieure, faire corps avec ses partenaires et finalement faire corps avec son adversaire car loin d'être un ennemi, il ne saurait y avoir de match sans adversaire qui est par là même un complémentaire.
Nous, profanes, sommes tous atterrés par le geste incompréhensible de Zinedine Zidane. Geste inexcusable. Pourquoi ? L'homme plutôt discret, sobre du verbe, s'est révélé un virtuose du ballon, un joueur talentueux, un esthète du geste sportif, un homme qui délivre une sagesse du corps. De part ses grandes qualités, il force le respect de toute part. Les entraîneurs ont beaucoup d'estime pour lui, les joueurs le respectent et les supporters et fans du ballon rond l'admirent. Tous les joueurs dans le combat qui les mènent sur le terrain se portent un respect mutuel, parce qu'ils savent l'exigeance d'effort et d'engagement, la masse de travail qui les ont conduit ici. Ils ont plaisir à jouer et à se retrouver dans une compétition d'une telle envergure, ce qui donne sens à la performance et la compétitivité. Nous avons pu le vivre avec bonheur durant le match disputé contre le brésil.
Mais voila que durant cette finale de coupe du monde, outre tout ce qu'a pu dire la presse étrangère et nationale, ce grand joueur a été énormément disputé, ce qui est dans l'esprit du jeu, vu le poids qu'il porte sur l'équipe adverse. Jusqu'à un certain point. Pendant près de 2h00 Zidane se fait charger dans une bataille où il ne doit sortir qu'un vainqueur. Les charges portées sont de plus en plus nombreuses, de moins en moins sûr, de moins en moins régulières. Alors que Diarra prend un carton jaune sur un tacle par derrière limite mais correcte, deux minutes plus tard Zidane se fait tamponner dans les airs tel un receveur de football américain par Cannavaro non sanctionné et chute lourdement, touché à l'épaule. Un destin à la Beckenbauer se construit. Zidane appuie son jeu pour s'imposer encore dans les duels et joue du regard pour rappeler les codes de conduites et les limites à ne pas dépasser. Materazzi n'a que faire des remarques du Français et le ceinture dans la surface lors d'un coup de pieds arrêté. Cet anti-jeu non sanctionné conforte l'italien que Zidane interroge du regard, un sourire interloqué. L'italien n'a que faire de la remarque, feint de l'ignorer, le méprise. Son honneur mis à mal dans ce duel, Zidane perd la face dans une finale promise qui semble lui échapper à dix minutes du terme. Malgré plusieurs coup de regard porté à l'italien méprisant, il ne peut en rester là, cette déloyauté sera puni d'un geste irrémédiable...
Malheureusement, encore une fois, ce sont les juges de cette bataille qui n'auront rien compris. Ce fût un mondial où "la victoire de l'Italie est celle du néant", loin de l'époque où le sport était celui de Vince Lombardi, audacieux, ludique et festif. La victoire n'est pas acquise. Cependant, peut-être parce que je suis entraîneur formateur et qu'avant la victoire compte chez les jeunes la longue initiation aux valeurs sportives et martiales, je suis fière du parcours de l'équipe de France, parce qu'elle a démontré une véritable détermination et solidarité d'équipe aux moments d'épreuve, une discipline collective exemplaire, source d'un respect mutuel, d'une gratification morale et d'une profonde estime du public.
"Ce que je veux vous dire au moment le plus intense, le plus dur peut-être de votre carrière, c'est l'admiration et l'affection de la nation toute entière, son respect aussi." Jacques Chirac, au nom de la France.