Quand j'écoute de la musique, j'ai toujours cette impression d'être en état d'éveil. Tous mes sens sont en éveil et m'offrent une véritable expérience vivifiante. Tous ces sens, qui sont-ils, que disent-ils ?
Indéniablement, celui qui m'est le plus privilégié, est celui de l'ouïe. Je me réveille et m'endore toujours sur des ambiances sonores. La musique rythme ma vie, vibration naturelle et primordiale... J'aime les atmosphères, le bruissement des feuilles dans le vent, le ruisselement d'une source, les multiples petits bruits qui disent beaucoup de la vie animée en forêt, j'aime écouter le silence, j'adore l'univers sourd du réveil à l'aube. La vue qui accompagne le son, en prise directe avec le monde sensible, est un sens riche qui donne à contempler ce qui est et conduit aux mondes intérieurs, celui des visions, univers oniriques, espaces imaginaires. Contempler une photo, une peinture, une icône donne vie à l'intime. Alors prennent place l'odorat et le goût, qui renvoient à l'intériorisation la plus profonde de notre monde. La respiration dit beaucoup de nous-même et les odeurs renvoient à tant de lointains souvenirs, matière immatérielle. Elles personnalisent bien un lieu, un moment... Odeur d'une pluie fine d'une fin d'été sur une terre encore chaude et sèche. Les essences nous portent sur les chemins célestes. Matière nourricière, saveurs multiples d'une table de la rencontre.
Le toucher a quelque chose d'étrange comme sens. Peut-être effet de culture... Mais en l'approfondissant un peu, on se rend compte qu'il se situe quelque part à l'exact frontière entre ces univers intérieur et extérieur. On pense souvent aux mains comme vecteur de ce sens, mais n'est ce pas toute la peau, toute notre enveloppe corporelle qui dit quelque chose de notre limite ? Toute expérience tactile n'est-elle pas fondamentale qui nous relie "directement" à la réalité et ouvre quelque part notre finitude à l'infini du monde ? Nous avons si souvent envie de prendre les choses comme une façon de les comprendre, de les saisir dans les deux sens du terme, au risque de les retenir et les enfermer dans nos idées. La mémoire tactile semble inexistante parce que saturée de notre rapport direct au monde. Mais des profondeurs reviennent d'antiques souvenirs qui parlent d'une existence pleinière, entière réceptivité, profusion de vie. Sensation totale de glisse dans l'eau... L'air frais sur le visage, la peau cuite par le soleil et le sel... Le toucher aux platines, manipulation des pochettes, des vinyles, du diamant... Souvenirs distincts de la volupté d'un baiser ou encore de la manière très sensuelle d'embrasser un adieu, de lèvres qui furtivement effleurent le coin de la joue... Une caresse sur le ventre à fleur de peau à consumer le corps embrasé. Etourdissante danse des sens.Voilà que la plus douce des caresses murmure sans doute à sa manière la nostalgie de l'éternité...